Rencontre avec Charlotte Husson, fondatrice de Mister k.
Née aux Etats-Unis il y a 34 ans, sa double nationalité lui a sûrement fourni des antennes multidirectionnelles sur le monde, sans qu’elle ne s’en rende compte. Charlotte Husson est styliste de formation. Diplômée du Studio Berçot, Charlotte a effectué ses premiers jobs au sein de jeunes marques, puis a travaillé chez Heimstone, chez Sézane. Jusqu’à ce que le cancer la stoppe brutalement dans son élan, pendant 18 mois de peur, de traitements et de reconstruction. Cette épreuve l’a profondément transformée, son entreprise Mister k. étant le fruit de cette métamorphose.
Bonjour Charlotte, vous nous pitchez Mister k.?
Mister k. est une marque dédiée à la conception, production et diffusion de collections de vêtements et accessoires. Principalement diffusée en ligne, puisque notre chiffre d’affaires provient à plus de 70% du flow sur Instagram, notre marque appartient à cette branche nouvelle d’entreprises, appelée Digital Native Vertical Brand, qui emprunte les voies et les moyens de l’économie numérique ainsi que de l’économie circulaire.
Notre mantra central est bien plus qu’un slogan, c’est la raison d’être de la marque : « faire du beau, faire le bien, le faire bien ». Nous n’avons pas voulu être une marque de « fringues » de plus, il y en a tellement. Sans prétention, nous avons sincèrement voulu que notre entreprise ait un effet utile et laisse une trace, même modeste, mais une trace.
Mister k.est donc une marque engagée et responsable. Concrètement cela signifie : être en lien avec les aspirations profondes des clientes, de façon transparente et collaborative, sans compromis possible avec les enjeux de la société et de son environnement, écologique, social et citoyen.
La singularité de notre business model est qu’il fonctionne sur base d’un système de précommandes de nos collections que nous présentons une fois par mois. Les précommandes permettent d’amorcer la production dans nos usines partenaires qui reçoivent en juste-à-temps la matière nécessaire, pas plus. Et cette matière provient toujours de métrages non utilisés par de grandes maisons. Les principes de zéro stock et zéro gâchis sont le pivot de notre développement. Nous sommes convaincues que le temps des achats compulsifs de produits jetables est en train de passer. La patience, les actes d’achat raisonnables et raisonnés sont réhabilités.
Bref, la croissance rentable c’est super. C’est encore bien mieux quand elle a du sens, crée de la valeur et que toutes les parties prenantes en profitent.
Quel a été votre déclic ?
Tout entrepreneur possède un mythe fondateur, enfoui ou avoué. Le mien remonte sûrement à l’enfance, lorsque j’adorais passer mes grandes vacances chez ma grand-mère à dessiner et coudre avec elle des robes de princesse. Je me serais bien vue créatrice libre de toutes attaches… un fantasme d’adolescente quoi !
Entrepreneure c’est une autre histoire. Évidemment la maladie m’a métamorphosée. Paradoxalement, lorsque mon super oncologue m’a annoncé en 2014, ma rémission, je n’ai pas sauté de joie. Je me suis même retrouvée dans un état d’hébétude et de vide … mais je n’avais plus peur de grand-chose. J’ai voulu retrouver la vie de groupe et mon travail d’avant. Pourtant les codes hiérarchiques, les petites histoires des bien portants et les routines de bureau m’ont pesé très vite. On entend souvent «il faut savoir sortir de sa zone de confort », comme un luxe ou une option de vie parmi d’autres. Moi je n’avais plus d’option, je venais de sortir de l’enfer et le confort, dont j’avais perdu le goût, n’était pas une perspective qui m’arrachait de mon lit le matin, mais l’aventure et créer ma boîte, pleine de mes convictions, oui.
Je l’ai lancée en 2015, bien entourée et conseillée certes, mais un peu à l’aveuglette. Le vrai déclic, très concret, ce fut certainement le succès de ma campagne initiale de crowdfunding. En 15 jours plus de 500 personnes inconnues ont contribué massivement à mon projet. La reconnaissance et la confiance, comme on l’a dit plus haut, les responsabilités aussi, quel fabuleux carburant, ce qui n’empêche pas une seule seconde, le stress, le doute et des tonnes d’aléas. Seule au départ, pour tout faire, du sol au plafond, l’épuisement me guettait, alors j’ai rencontré Astrid Legmann, qui est ensuite devenue mon associée. Astrid et moi sommes miraculeusement complémentaires et très liées.
Que signifie Mister k.?
K était la lettre codée qui désignait mon cancer dans mon dossier à l’hôpital Pompidou. Je l’ai découverte en en sortant, pleine de gratitude envers les inoubliables personnes qui m’ont traitée, soignée, opérée, réconfortée. Quand j’ai déposé les statuts de ma boîte, je n’ai pas trop réfléchi à son nom juridique ou commercial. Mister k. m’est venu assez machinalement, contenant sa part de défi et de superstition. Plus tard avec Astrid et quelques conseillers en marques, nous nous sommes posé la question de cette appellation … pour finalement conclure que ce nom de marque un peu insolite commençait à trouver son chemin dans le paysage, avec sa part de mystère et d’expérience vécue, donc d’incarnation et de sincérité. Nous l’avons gardé.
Parlez-nous de l’engagement concret de Mister k.?
Au tout début de mon entreprise, son activité était scindée en 2 entités. La première très active s’appelait Mister k Fighting kits. Elle consistait à composer des box beauté avec tous les produits de dermo-cosmétique que j’avais expérimentés pendant mes traitements agrémentés de tutos et plein d’astuces paramédicales pour mieux affronter l’épreuve du cancer. Des grandes marques de cosmétique et des labos étaient mes partenaires, permettant de vendre les box et leur contenu à des prix très réduits. Je m’étais fixée, consciemment ou inconsciemment, un cycle de 3 ans pour mener à bien ce projet, avant de lancer ma première collection de vêtements sous la marque Mister k. qui était en sommeil, ne pouvant pas courir seule deux lièvres à la fois. En novembre 2019, j’ai fait don de tout mon stock de box beauté et produits à la Clinique Saint-Jean de Dieu, qui a poursuivi cette action réparatrice auprès des malades.
Quand Astrid m’a rejointe, nous nous sommes alors lancées dans le développement de l’autre business unit, Mister k., qui contient un volet singulier. Nous reversons, tous les mois, 5% de nos ventes à l’Institut Gustave Roussy, premier centre européen de recherche contre le cancer. Octobre Rose me touche évidemment, mais je ne suis guère confortable avec l’idée de ne se mobiliser un peu symboliquement qu’une fois dans l’année et uniquement pour le cancer du sein. Notre engagement à nous, se mesure toute l’année, très concrètement, et vise tous les cancers.
Pour le reste, je vous l’ai dit plus haut dans le pitch, nous sommes résolument convaincues de notre responsabilité éco-responsable et nous engageons nos usines partenaires et notre logisticien à nous suivre dans cette voie.
Quel effet a eu la crise sur votre entreprise ?
J’ai peine à répondre : un effet bénéfique, ce serait terriblement égoïste vis-à-vis de tous les secteurs qui sont en grand danger. Pourtant, le fait est que notre business model singulier nous a permis de traverser ce terrible coup du sort, de façon assez indolore. Nos coûts fixes sont plafonnés au juste nécessaire et nous n’avons pas eu à baisser le rideau de boutiques, puisque nous n’en possédons pas. Et puis surtout, nous avons spontanément gardé le contact permanent avec nos clientes, par tout moyen (streaming, lives, face-times quotidiens). Nous en avions autant besoin qu’elles ! Des solidarités nouvelles de circonstance se sont créées, ce qui nous a incité à lancer une collection en plein confinement avec les moyens du bord et cette collection a formidablement bien marché, pour être livrée à l’issue du confinement. De plus, en accord sans réserve avec l’Institut Gustave Roussy, nous avons décidé de rediriger nos 5% sur ces ventes, directement au compte Urgence Covid de l’AP-HP. C’était comme une évidence en plus de nos applaudissements de 20 heures.
Votre plus grande fierté ?
Difficile pour moi de livrer des choses trop intimes. Mais je dois avouer qu’avant ma maladie, je souffrais d’un autre syndrome, bien plus bénin mais handicapant, j’étais paralysée par une timidité maladive et une hypersensibilité d’écorchée vive. Un événement m’a permis de mesurer combien les épreuves, puis, lancer ma boîte, m’avaient métamorphosée.
Le 19 octobre 2019, je fus invitée à monter sur la scène du Bang annuel de Bpifrance à Bercy, devant des milliers de personnes, pour parler de mon projet. Michelle Obama avait occupé cette même scène avant les vacances (j’y étais). Des ministres et plein de célébrités des affaires partageaient ce Bang. Bref, je n’en menais pas large en tentant de résister au malaise vagal. Et bien miracle, en arrivant sur scène les mots me vinrent naturellement comme si j’étais portée par une énergie invisible. C’était bien, inoubliable et mesurable entre mon moi d’aujourd’hui et mon autre moi d’avant.
J’ai aussi été marquée par ce moment bizarre où j’ai retrouvé mon image en couverture du livre (« L’impossible est mon espoir » ) que les Éditions Marabout m’avaient commandité. Comme toute personne hypersensible, même en cours de guérison, j’entretiens un rapport très distant et suspicieux avec le fait de me retrouver sous le feu des projecteurs. Pourtant la gestation de ce bouquin m’a beaucoup mobilisée et touchée. Me retrouver en rayons aux côtés des vrais auteurs fut, non pas un plaisir narcissique, mais vraiment un sentiment fugace de victoire sur la maladie. Après, Musso et Lévy peuvent dormir tranquilles, je suis restée très en dessous de leurs scores de ventes, et je n’ai pas prévu d’en sortir un deuxième ! (rires)
Comment voyez-vous l’avenir de cet entrepreneuriat qui agit pour la planète et les gens ?
Dans mon bouquin précisément, je cite ce proverbe, attribué aux Inuits ou parfois aux Mayas « Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants »
Il semblerait bien que nous soyons arrivés à ce stade de l’histoire où nous avons trop « tiré sur la ficelle » qui nous relie à notre vieille planète, au point que nous encourons une grande responsabilité, au moins morale, de laisser à nos enfants un héritage toxique. L’épisode Coronavirus qui nous accable en ce moment est une alerte supplémentaire parmi d’autres. Est-ce fichu ? Est-ce une raison pour se replier sur soi-même en cultivant ses tomates bio en autosuffisance ? Pour moi, ni l’un ni l’autre.
En somme la question que vous posez est : quels sont plus spécialement la place, la fonction et l’effet utile de l’entrepreneuriat dans cet immense défi ? Aux deux extrémités du spectre nous avons d’une part, les politiques et de l’autre, les individus impatients, exacerbés par les réseaux sociaux.
Et je crois sincèrement qu’au beau milieu de tout cela, il y a l’entrepreneur qui possède beaucoup d’atouts pour transformer la réalité. Lui, il est confronté, tous les jours, à des arbitrages entre risques et opportunités. Lui, sait ce que coûte un mauvais choix, ou pire une entorse à l’éthique. Lui sait se mettre en mouvement avec des équipes dédiées, sur des projets grandioses ou minuscules. Lui sait capter les signaux faibles du marché et des tendances. Lui, éprouve tous les trimestres, au moins, le Mythe de Sisyphe. Il lui arrivera même d’endurer les reproches de ceux qui restent bras ballants, peu importe. L’entrepreneur éco-responsable sait qu’il tentera encore et encore de pousser sa caillasse jusqu’au sommet de sa montagne et ça lui plaît !
Quels sont vos projets ?
Tellement nombreux et illimités quand on veut « faire du beau, faire le bien, le faire bien » ! Restons réalistes : à l’horizon de l’année prochaine. Nous voulons consolider le capital immatériel de l’entreprise et de la Marque, c’est-à-dire sa notoriété et sa capacité d’étonnement au-delà de la communauté de nos fidèles clientes. Nous souhaitons renforcer notre équipe en gardant à un niveau très élevé, comme aujourd’hui, la motivation, la transversalité et la solidarité en nous ouvrant d’avantage si possible à la diversité : les garçons sont les bienvenus !
Nous avons bon espoir de signer une charte de «compliance » éco-responsable et très opérationnelle avec tous nos partenaires dans l’idée de créer un écosystème vertueux gagnant-gagnant. Nous allons devoir nous poser la question d’un changement de braquet, avec un ou des investisseurs, sans y perdre notre étincelle. Nous étudions le lancement d’un magazine. Enfin, profiter d’un local plus spacieux, un mix de showroom et d’agora, nous rendraient encore plus heureuses de nous retrouver chaque lundi matin !
Merci Charlotte !